Rue Vieille-du-Temple, Paris 3ᵉ. Photographie de Cyrille Weiner, extrait de la série Paris Haussmann, variations de l’identité, pour l’exposition éponyme au Pavillon de l’Arsenal 2017. © Cyrille Weiner.
Palais Royal, Paris 1ᵉʳ. © Bibliothèque Nationale de France.
Fenêtres sur rues, 10 logement à Paris 14ᵉ, THE architectes.
Femme à la fenêtre, Caspar David Friedrich, 1822.
Alfred Hitchcock sur le tournage de Fenêtre sur cour [Rear Window, 1954]. © Paramount Pictures.
Fenêtre-meuble, 26 logements sur l’Île de Nantes, THE architectes.
Carpaccio de légumes d’Alain Passard. © DR.
Hôtel M’Zab à Ghardaïa (Algérie), Fernand Pouillon, 1970. © Fernand Pouillon.
Ensemble de la Tourette à Marseille, Fernand Pouillon, 1953. © Fernand Pouillon/Adam Khan.
Gary Cooper, architecte seul contre tous, dans Le Rebelle [The Fountainhead, 1949] de King Vidor. © Warner Bros Pictures.
Pierre Inca à 12 angles de Cuzco. © Wikimedia Commons.
Comment résumeriez-vous votre approche architecturale ?
Nous sommes pragmatiques : nous abordons chacun de nos projets avec la ferme volonté de trouver des réponses simples, concrètes et durables aux questions posées par nos maîtres d’ouvrage. Notre approche est avant tout constructive ; nous poursuivons les objectifs énoncés en d’autres temps par Vitruve : « Solidité, commodité, beauté. »
Comment définissez-vous votre travail ?
L’architecture est une discipline d’analyse et l’architecte, par son regard, est capable d’appréhender la totalité d’un site. Sa compréhension d’un lieu, d’un programme et d’une commande est au cœur même de son travail. Par son écoute, il aide le maître d’ouvrage à formuler son projet. Par son savoir-faire, il donne une réalité concrète au projet. L’architecte n’invente pas, il recherche des solutions. Aussi, nous n’hésitons pas à rechercher des solutions dans ce qui a déjà été fait, dans ce qui a déjà été éprouvé. Nous souhaitons réintroduire des dispositifs simples, faisant appel au bon sens.
Comment vous situez-vous face à l’injonction de diversité souvent faite aux architectes ?
Nous vivons une époque paradoxale : nous n’avons jamais autant parlé de diversité. Pourtant, la production de logements collectifs nous semble très homogène : les bâtiments ont souvent la même épaisseur, les typologies de logements varient peu et sont distribués par des couloirs aveugles. Le recours aux murs de refend en béton armé est généralisé. La façade devient un habillage hétérogène qui dissimule l’uniformité de ces constructions et crée une sorte de cacophonie urbaine. Nous nous inquiétons de la pérennité de ce type d’architecture.
Que proposez-vous alors ?
Nous avons beaucoup à apprendre des villes existantes. Prenons Paris, qui est reconnue dans le monde entier comme une ville fantastique. Son attrait n’est pas lié à ses seuls monuments. Son charme provient aussi d’une architecture répétitive, sans ambition monumentale. Si l’on observe la production d’immeubles de la période haussmannienne, on comprend que son architecture est très homogène, et pour autant le résultat est plébiscité par le grand public. Notre architecture s’inscrit dans la continuité de l’histoire. Il n’est pas question de chercher la nouveauté pour la nouveauté. Nous cherchons à produire une architecture rationnelle et aimable qui s’efface au profit de la ville tout en existant pour ses usagers.
Rue Vieille-du-Temple, Paris 3ᵉ. Photographie de Cyrille Weiner, extrait de la série Paris Haussmann, variations de l’identité, pour l’exposition éponyme au Pavillon de l’Arsenal 2017. © Cyrille Weiner.
Palais Royal, Paris 1ᵉʳ. © Bibliothèque Nationale de France.
La rationalité constructive va souvent de pair avec la répétitivité qui peut faire peur. Comment défendez-vous cette approche ?
Si nous pouvons apprécier une approche faisant la part belle à la répétitivité, nous avons conscience que l’architecture de la répétition, notamment celle héritée de la reconstruction, a pu être un traumatisme. Toutefois une opération de logements collectifs ou de bureaux est, par essence, répétitive. À quoi bon tenter de le cacher ? De surcroît, dans une économie de projet serrée, privilégier la répétition de dispositifs ou de systèmes permet d’obtenir un bâtiment de meilleure facture. Cette approche économique rend possible une grande générosité sur certaines prestations ; nous proposons, par exemple, de grands espaces extérieurs sous forme de loggias, de terrasses ou de jardins d’hiver.
Le thème de la trame fait, depuis quelques années, son retour. Comment vous positionnez-vous sur ce sujet ?
Nous employons, pour notre part, assez peu ce mot. Le projet architectural implique forcément la réalisation d’une trame. Nous n’en faisons néanmoins pas un parti pris esthétique.
Fenêtres sur rues, 10 logement à Paris 14ᵉ, THE architectes.
La répétition implique-t-elle aussi, pour l’agence, d’avoir son propre carnet de détails ?
Notre architecture part d’une réflexion simple sur des dispositifs fondamentaux : qu’est-ce qu’un toit ? Qu’est-ce qu’une fenêtre ? Au-delà du détail, nous cherchons à développer une méthodologie propre à l’agence qui tire les enseignements de notre expérience sur tous les aspects du projet. C’est un processus de capitalisation sur notre travail.
Qu’entendez-vous par simplicité ?
Nous imaginons des volumes simples, mais ne cherchons pas à cacher des détails primordiaux, comme les gouttières, par exemple. La simplicité, à nos yeux, ne se résume pas à une esthétique minimaliste ; elle s’exprime à travers l’assemblage d’éléments. De cette logique découle la possibilité d’une nouvelle ornementation et donc d’une architecture signifiante.
Le travail sur la fenêtre semble une constante dans votre pratique. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Le travail de la fenêtre est central. La fenêtre définit à la fois l’ambiance intérieure d’un bâtiment, en y laissant pénétrer la lumière, et l’esthétique extérieure de la façade, dont elle constitue le dénominateur commun. La fenêtre est d’abord une surface (vitrée). Toutefois nous aimons aller au-delà pour la travailler comme un espace, un seuil habitable entre l’intérieur et l’extérieur, une possibilité pour de nouveaux usages. Pour chacun de nos projets, nous développons des fenêtres spécifiques au contexte et au climat. Nous tentons d’échapper à la laideur de la fenêtre sur allège maçonnée avec un volet roulant PVC ! Là encore, l’histoire de l’architecture, qu’elle soit savante ou vernaculaire, nous offre une source inépuisable de références ne demandant qu’à être actualisées.
Femme à la fenêtre, Caspar David Friedrich, 1822.
Alfred Hitchcock sur le tournage de Fenêtre sur cour [Rear Window, 1954]. © Paramount Pictures.
Fenêtre-meuble, 26 logements sur l’Île de Nantes, THE architectes.
Quelle est votre approche du développement durable ?
Par essence, l’architecture devrait être durable. Elle doit aussi permettre à terme une plus grande flexibilité des bâtiments. Il nous faut donc imaginer des systèmes constructifs leur permettant d’avoir plusieurs vies. Aujourd’hui, nous sommes en mesure d’anticiper le coût global d’un bâtiment, de sa construction à sa démolition ou reconversion. Pour cela, la maquette BIM est un outil majeur qui va révolutionner le bâtiment. Encore faut-il que toutes les parties prenantes jouent le jeu, et que la maquette serve réellement à optimiser l’exploitation et la maintenance du bâtiment. Nous sommes activement engagés dans cette transition qui aboutira à une véritable approche durable.
Quel est votre rapport à la norme ?
Il y a incontestablement pléthore de réglementations. Ceci étant dit, nous ne partageons pas la critique générale contre les normes. Si la superposition de certaines règles peut aboutir à des aberrations, elles ne sont pas pour autant sans utilité : elles constituent un garde-fou et assurent un standard et un niveau de qualité. C’est à nous, architectes, qu’il revient de les connaître, de les maîtriser et d’en faire la synthèse.
De nombreuses agences assurent avoir une approche artisanale de l’architecture. Comment vous situez-vous sur cette question ?
Nous nous efforçons de ne pas opposer l’artisanat et l’industrie. Cependant, de par la taille de notre agence, nous sommes proches des artisans. Comme eux, nous avons la satisfaction de produire de beaux ouvrages, de travailler la matière et de valoriser le geste. L’exemple des grands chefs cuisiniers, en ce sens, nous inspire : Alain Passard a ses propres potagers. Il cuisine les produits qu’il cultive et ses plats racontent un site, un terroir. Dans un registre différent, nous observons aussi le cas de Gérard Pénot, urbaniste du quartier Euronantes. Il a constitué sa propre pépinière pour poursuivre un travail de fond sur le paysage, mais aussi pour avoir des sujets à disposition et réaliser au mieux ses projets. Nous nous intéressons, enfin, à l’expérience de Fernand Pouillon qui, en bon architecte, mais sûrement en excellent homme d’affaires, avait ses propres carrières de pierre.
Carpaccio de légumes d’Alain Passard. © DR.
Hôtel M’Zab à Ghardaïa (Algérie), Fernand Pouillon, 1970. © Fernand Pouillon.
Ensemble de la Tourette à Marseille, Fernand Pouillon, 1953. © Fernand Pouillon/Adam Khan.
Comment appréhendez-vous le contexte dans vos projets ?
Le contexte nous guide. Il est toujours plus facile de travailler dans un quartier constitué, sédimenté, avec une histoire que sur un territoire vierge. Nous arrivons toujours à nous raccrocher à un élément, aussi mince soit-il, pour prendre position. Être contextuel ne veut pas dire pour autant que chaque projet est unique. Une des problématiques de notre travail est de trouver des systèmes reproductibles et adaptables, tout en proposant un projet spécifique à chaque situation.
Travaillez-vous différemment selon que votre client est privé ou public ?
Nous ne croyons pas qu’il soit pertinent d’opposer commande publique et commande privée. La frontière entre les deux est de plus en plus poreuse. D’une part, de nombreux bailleurs sociaux achètent aux promoteurs privés en VEFA leurs bâtiments. D’autre part, la puissance publique, par le biais des aménageurs, contrôle et peut influer sur la production de logements en accession par des promoteurs privés. Ce qui est sûr, c’est que l’architecte se retrouve au cœur de montages de plus en plus complexes. C’est un défi, mais là encore, cette situation affirme le rôle indispensable de l’architecte dont la mission est de concilier les intérêts de chacun.
N’est-il pas difficile aujourd’hui de défendre une forme de radicalité ? L’architecture n’est-elle pas, pour reprendre la formule de Rudy Ricciotti, « un sport de combat » ?
La lutte pour un projet semble appartenir à la culture de notre profession. Elle n’est pourtant pas indispensable à la réussite d’un projet. La radicalité relève d’un cliché, à savoir celui de l’architecte qui se bat en permanence pour son dessin, façon Gary Cooper dans Le rebelle de King Vidor. À notre sens, nous devons affirmer un soft power en ayant pour objectif de trouver une forme de consensus entre maître d’œuvre et maître d’ouvrage. L’architecture ne doit pas être un exercice conflictuel.
L’architecture implique-t-elle un effort de pédagogie ?
Nous devons répondre aux demandes posées et expliquer nos choix. En outre, notre mission va bien au-delà : nous devons, par la qualité de notre travail, éveiller l’adhésion du grand public. Pour cela nous cherchons à développer une architecture familière. Notre ambition est de réaliser des bâtiments qui, bien que neufs, semblent avoir toujours existé.
Gary Cooper, architecte seul contre tous, dans Le Rebelle [The Fountainhead, 1949] de King Vidor. © Warner Bros Pictures.
Pierre Inca à 12 angles de Cuzco. © Wikimedia Commons.